Les Monts d'Arrée ( 4 )


Pilhaouer *

Une âme égarée
Glisse sur la lande
En criant : «Pilhaouer!»
Marchand de chiffons
Cherche son bonheur

Pas d'enfant à sa suite
Nulle femme
Attirée par les rubans
Aucun homme
Avide de nouvelles 

Personne ne l'attend
Aux portes closes
Des villages endormis
Qu'elle traverse
Ombre frissonnante

Sur la crête acérée
Dans l'air glacial
Qui la transperce
Elle se retourne
Scrutant la nuit noire

«Où est mon cheval?
Et mon char-à-bancs?»
Nul ne la suit
Dans la tourmente
Où règne la solitude

La bourrasque froide
Emporte ses paroles
Tandis que grince
La charrette de l'Ankou*
Lancée à sa poursuite

Une âme perdue
Se fond dans la brume
En criant: «Pilhaouer!»
Marchand de chiffons
Cherche la lumière 

* Pilhaouer : Colporteur
* Ankou : Mort personnifiée
Revue An Amzer n° 54 - Juin 2014

L'Ellez


L'Ellez, cours d'eau, cours de vie, court dans la nature, discrètement, en évitant les villages. Elle chantonne doucement de sa source vers son destin: rejoindre l'Aulne et se noyer avec elle dans l'Océan, loin là-bas, au débouché de ses méandres, dans la rade de Brest, après le cimetière des bateaux.

A sa source, sur le plateau, un rayon l'assèche, un grain la fait déborder. Saint Michel la sacralise et ses eaux restent pures. La mulette perlière y vit, hébergée d'abord dans les branchies de centenaires truites fario. Les jeunes castors en témoignent.
Iris des marais, elle se faufile à travers la lande, entre les hautes herbes, tantôt sèches, tantôt vertes. Elle passe par le Réservoir Saint Michel qui recouvre maintenant le Youdig, cette Porte des Enfers, où le recteur vient jeter le chien noir porteur des âmes perdues.
Après le marais de Botmeur et ses tourbières, qui accueillent bruyères, carex, linaigrette et fragile drosera, mais aussi lézards, busards, sympretums noirs, la rivière silencieuse va alimenter la réserve de Saint Herbot. Si le moulin en ruine du Chaos n'a plus besoin de ses services, le gué de Mardoul permet toujours de la franchir grâce aux nombreux rocs qui parsèment son cours. Les roches aux cicatrices circulaires et aux rigoles sacrificielles gardent la mémoire de rites anciens.
Ensuite rendue furieuse par on ne sait quel sortilège, elle dévale du plateau ... dans une longue canalisation. Elle se rappelle encore et toujours quand, devenue cascade, elle bondissait librement et s'affalait dans une fureur blanche d'écume sur les roches nues ou embroussaillées, jetées là par le géant du Rusquec pour couvrir la voix de l'ermite guérisseur.
Enfin rejetée dans son lit, l'eau sombre file confluer à Pont Penity. Ô rejoindre l'Océan et y oublier l'asservissement humiliant des hommes !
Le lit garde la mémoire de ses marais, de ses méandres, de ses moulins, des poissons, du bétail abreuvé et des chevaux des pillaouerien*.
Chaque goutte d'eau file à travers l'histoire, à la recherche des souvenirs disparus, dont même les paysages ont perdu le fil. Alors chaque goutte crée sa propre mémoire, pour ne pas oublier qu'avant le progrès, la montagne était si belle, sans plus de misère ni de rudesse.
La terre aussi s'imprègne de toutes ces images et les transmet aux herbes, aux haies, aux arbrisseaux. Seul, le poète écoute les murmures incessants, les bruissements sans fin qui courent le long de l'Ellez. Il rapporte les légendes du Yeun Elez, du Youdig, du Chaos du Milin Mardoul, de la Cascade de Saint Herbot à jamais effacée des esprits.
Ecoutez la mémoire des temps!


Guérison

La vie joue dans mes pinceaux
Se peint de teintes fraîches et douces
Se décline en un camaïeu délicat

Mes souffrances se sont noyées
Dans les eaux noires du Yeun Ellez
Pour que le jour s'enflamme

A Botmeur
J'ai trouvé mon âme
Ma terre, mes envies


D'un pinceau rêveur t'effacer
Ô l'eau vive de ta voix fébrile
Sur ma peau dévastée

La paix du lac et des bruyères
Le ciel de granit pour refuge
Et Saint Michel à mon chevet

A Botmeur
J'ai trouvé mon âme
Ma terre, l'oubli


Corps et âme à jamais éperdus
Dans l'incarnat des coquelicots
Tu quittes la toile de mes plaisirs

Avec le lézard des marais
Par les tourbières et les chemins
Chante le Roudouhir sous la lande

A Botmeur
J'ai trouvé mon âme
Ma terre, la vie 

Variations d'une plume 2014 
http://www.falbalapat.com/pages/gabrielle-burel-guerison.html 

Le Poète

Un livre à la main, l'homme rêve à la fenêtre en regardant tomber la pluie sur le jardinet.
Les hortensias aux mille fleurs bleues exposent leur camaïeu pimpant sous le ciel couleur ardoise. Près du buis échevelé, l'auge de granit abrite des giroflées sauvages. Sur la pelouse où croît l'herbe folle, les rosiers se courbent sous l'ondée, leurs pétales rouges se détachent et recouvrent peu à peu le sol détrempé. Framboisiers et groseilliers s'enchevêtrent le long de la haie d'aubépine.
Seul, le pommier au tronc moussu tend ses branches tordues comme une prière contre le déluge.
Cependant, la barrière ouverte sur la lande incite aux promenades.
D'un pas lent et mesuré, l'homme arpente en pensée les chemins creux avoisinants. Chaque caillou, chaque arbrisseau, chaque recoin ramènent les images enfuies d'une vie passée en harmonie avec les lieux.
Les lourdes senteurs de la terre se dégagent des trombes d'eau. Le ru gonflé, prenant des allures de cascade, dévale la pente et remplit le fossé.
Les mains dans le dos, campé bien droit, le rêveur fait une pause près d'un banc de pierre, devant l'abri en ruine du vieil ermite. Il aime la vue qui s'offre à lui, de cet endroit serein. Les ajoncs dorés et les bruyères pourpres égaient le roc acéré. Plus loin, les résineux tranchent par leur rectitude vert sombre.
Sur le mont, derrière le rideau de pluie, la chapelle semble l'appeler, nimbée d'un rai de soleil à travers la nuée.

La nuit tombe. La lune monte lentement dans le ciel brumeux, halo qui fait reculer les ténèbres gardées par le hululement de la chouette.
Il va de long en large, de l'âtre froid à la fenêtre poussiéreuse, en récitant ses poèmes préférés.
Son écharpe autour du cou, un pull sur les épaules, il replace ses lunettes d'un geste machinal.
Puis il s'assoit à la grande table en bois de la salle commune. Du plat de la main, il lustre doucement le plateau vermoulu qui a vu grandir et partir ses aïeux.
Lui manque le tic tac chaleureux de l'horloge. Il l'entend toujours rythmer le temps, comme dans un rêve.
Il écrit. Sans relâche, il tente de dépeindre la lumière absorbée dans la journée, de décrire les paysages aimés, de restituer les scènes du passé.
A l'abri de sa forteresse de mots, le poète combat la nuit. Les feuilles s'étalent sur la table, couvertes de son écriture fiévreuse. Terrorisé par l'ombre funeste qui emporte ses pensées, il aligne les vers comme rempart de sa mémoire. Sans prendre le temps d'y réfléchir, les mots s'enroulent en circonvolutions autour du même thème ; l'amour de son pays ne le quittera pas.

La frénésie tombe au petit matin. Avec l'aube blafarde, le calme revient dans le silence éternel.
L'homme veille à la fenêtre, un livre à la main.



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