Façon Puzzle (1 à 5)



1- Vers la mer

Michel et Adèle viennent prendre Fanny et Vincent au pied de leur immeuble résidentiel. Souriante, Fanny s'installe à l'avant, tandis qu'Adèle passe à l'arrière avec Vincent. En route vers la mer!
   Michel et Fanny se sont vus quelques fois chez des amis communs. Ils ont bien accroché, riant ensemble des mêmes choses, partageant beaucoup de points de vue. Leur cercle amical s'en est aperçu; on commence à les inviter en même temps, c'est plus facile.

Finalement, Michel a organisé cette journée avec les enfants. Pour mieux faire connaissance.
Fanny met ses lunettes de soleil, cale son sac à ses pieds et se laisse guider vers une belle journée. Pour une fois qu'elle n'a rien à décider, elle a bien l'intention de se laisser vivre.
Adèle est ravie! Une promenade en famille au bord de l'eau, c'est le rêve! Depuis le divorce, Michel la prend un week-end sur deux. Ils ont beau multiplier les idées de sorties, cela manque un peu de chaleur familiale. Elle regrette sa vie d'avant, mais après treize ans de mariage, sa mère a voulu vivre autrement, ne supportant plus cette routine qu'Adèle appelle le bonheur. En tout cas, pense-t-elle en rougissant, Vincent est superbe, athlétique, le teint mat,  aussi blond qu'elle est brune.
Casque sur les oreilles, l'adolescent n'en revient pas que sa mère lui ait fait un coup pareil! Chacun pour soi est leur devise. Tu sors, je rentre, et tout va bien. On se tient au courant par sms ou un mot sur le tableau Velleda accroché dans l'entrée. Ils ont toujours vécu tous les deux, dans leur petite sphère atypique, comme ils disent pour se garder des préjugés. Qu'elle l'entraîne dans une promenade dominicale est à peine croyable! "Tu peux bien me rendre ce service!" a fini par décider sa mère, à court d'arguments. Il déteste quand elle prend ses grands airs d'adulte. Il est prié, en plus, de faire bonne figure.
Michel est inquiet. Voilà longtemps qu'il n'a invité une femme à sortir. Ce n'est pas son point fort. Il se sent malhabile. Pour se rassurer, il a tout prévu dans les moindres détails: le trajet, le restaurant après la balade sur le port, puis un tour sur les sentiers de douaniers. Et retour en ville avant les embouteillages, car il déteste rester bloqué dans la circulation. Il est content d'avoir Adèle à ses côtés, elle semble déjà apprécier Vincent. Il compte un peu sur elle pour animer la sortie. Il espère que tout va bien se passer, qu'ils vont s'entendre pour longtemps. Sa nouvelle vie de célibataire lui pèse un peu plus chaque jour.

2- Vivre et laisser vivre





Les vingt minutes de trajet se font tranquillement. Michel est content, il n'y a pas trop de circulation et sa nouvelle voiture réagit bien. Adèle parle de tout ce qu'elle voit, Vincent reste retranché derrière sa musique, tandis que Fanny, indifférente aux qualités de l'auto, admire le paysage familier. Une routine sans gêne, tissée d'habitudes, se perçoit déjà.
   Michel gare le véhicule sur le parking du port. Ils sont arrivés suffisamment tôt, il y a de la place.
Ils longent le quai en regardant les bateaux de plaisance, qui se balancent doucement sur l'eau en tirant sur leur amarre, impatients de prendre le large. Le soleil est de la partie.
Quand Michel ouvre la porte d'un restaurant qui propose des spécialités de la mer, Vincent lève les yeux au ciel. Il n'aime pas le poisson, avec ou sans sauce. Sa mère n'est pas un cordon bleu, il est plus habitué aux pizzas et lasagnes de légumes.
Ils s'installent près d'une fenêtre, la vue est belle sur la mer. Adultes et enfants se font face, chaque famille a son côté de table. Fanny pense qu'il faudrait choisir une table ronde, ainsi arrondir les angles pour atténuer les différences. L'étude des menus prend un certain temps à Vincent, qui cherche ce qui ressemble le moins à du poisson. Fanny profite du cadre, elle n'a pas de préférence et commandera comme Michel. Adèle et lui trouvent vite ce qui leur convient, ils connaissent bien l'endroit. Les banalités s'échangent gentiment.
Les plats sont délicieux, Fanny déguste, le père et la fille se régalent, Vincent avale de grandes bouchées en espérant en finir vite.
«Tu as bien faim!» lui dit Adèle, qui ne rate aucun mouvement de son héros.
«C'est si bon» intervient Fanny, mesurant l'exaspération grandissante de son fils.
Après le café, Michel regarde sa montre. Si on ne veut pas rentrer trop tard, il faut maintenant aller faire un tour. Fanny quitte la table à regret, elle se sent bien dans ce lieu chaleureux.
Ils gagnent le sentier côtier, qui longe d'abord une crique de sable. Vincent s'arrête sur cette plage peu fréquentée et décide d'y attendre le moment d'aller se baigner. Michel marque son impatience tandis que Fanny, après un signe de tête vers son fils, continue de suivre le chemin. Adèle hésite mais elle veut faire découvrir son point de vue préféré. Elle précède son père sur le sentier, qui monte et va bientôt offrir un joli panorama sur la mer.
«Magnifique!» confirme Fanny quand Adèle, d'un ample geste de propriétaire, lui montre la vue qu'elle aime, du haut de la falaise. L'enfant est ravie et parle sans arrêt. Fanny sourit, Michel note la complicité qui se noue entre la jeune femme et sa fille.

3 – Le retour
     Converser n'est pas chose aisée sur cet étroit sentier. Les paroles se perdent dans la brise légère. Fanny en profite pour se taire et apprécier l'instant: le soleil sur la peau, les reflets sur la mer, les couleurs blondes de l'été, la fuite d'un lézard ou d'une couleuvre dans les fougères. Elle sait déjà qu'elle dessinera toutes ces scènes à son retour; elle engrange émotions et couleurs.
       Habituée aux randonnées, elle aurait bien marché plus longtemps, mais Michel pense au retour et Adèle ne serait pas fâchée de retrouver Vincent. Ils finissent par revenir sur leurs pas. Le paysage offre une nouvelle perspective dans la lumière de fin d'après-midi.
       Sur la plage, ils s'arrêtent près des vêtements roulés en boule du garçon. Fanny repère la tête de son fils, loin sur l'eau, parmi les baigneurs. Ils vont devoir attendre un peu. Les adultes s'assoient sur le sable, tandis qu'Adèle adresse de grands signes au nageur. Elle n'aime pas trop l'eau et reste sur le sable sec.
       Fanny regarde la mer, puis ôtant ses sandales, va marcher dans l'écume, le long de la plage. Elle se baisse pour ramasser un joli coquillage irisé. Elle l'offrira à Adèle. Michel, crispé, ne comprend pas que Fanny ne soit pas plus ferme avec son fils: celui-ci aurait dû suivre le groupe. Ils prennent du retard sur l'horaire.

       Vincent arrive enfin, il court vers une Adèle enchantée, qui s'enfuit en criant, de peur d'être aspergée de gouttes fraîches. Ils reprennent le chemin. Vincent joue les cormorans, bras écartés, le temps de sécher, son ballot de vêtements à la main.
       Sur le quai, Fanny propose une coupe glacée en terrasse, les enfants acclament l'idée. Adieu programmation, Michel est catastrophé. Vincent, déridé, raconte des histoires de pirates à Adèle, qui frémit sous les évocations d'abordages. Fanny regarde les bateaux en souriant. Elle rêve d'espace et d'embruns. Quelle belle journée!
        Ils reprennent ensuite la voiture. Pendant le trajet du retour, les jeunes gens discutent gaiement. Téléphones portables en main, ils ont échangé leurs numéros ainsi que leurs profils sur les réseaux sociaux. Michel se concentre sur la route, ne trouvant plus rien à dire. Juste avant un premier bouchon, Fanny lui indique un autre itinéraire, qui leur permet d'entrer dans la ville facilement.
    Michel se gare devant la résidence. Fanny propose de monter chez elle prendre un verre. Michel décline l'invitation, il doit raccompagner Adèle chez sa mère.
        Fanny, détendue, dit joyeusement: «A bientôt!».
      Michel, homme de devoir, pense que c'est tout simplement impossible: cette femme insaisissable ne parle pas et ne respecte aucune règle!

 4 – Fanny organise

  Michel n'a pu éviter de revoir Fanny chez des amis. A moins de refuser toutes les invitations et de vivre en reclus, il n'a pas trop le choix. Fanny sourit en le voyant, il doit s'avouer qu'il aime cela.

  En fin de soirée, Fanny lui propose une nouvelle sortie. Cette fois, c'est elle qui organise. Enfin, si on peut appeler cela ainsi … Tout en acceptant, Michel en frémit d'avance.

  Ils partent un samedi pour ne pas être retenus par le retour d'Adèle chez sa mère. Fanny a opté pour la visite d'une petite ville en retrait de la côte et que personne ne connaît vraiment bien.
En route pour l'aventure!

  « C'est tout droit! », assure Fanny, quand Michel lui demande si elle connaît l'itinéraire. Il est dit qu'il ne pourra rien maîtriser. Avec philosophie, il se résigne à suivre le mouvement, mais il est dur pour lui de lâcher prise, même pendant les loisirs. Comme le trajet est assez long, il allume la radio sur une onde audible par tous.

  Les jeunes, contents de se revoir, échangent les dernières nouvelles. Fanny profite du paysage, seulement attentive aux embranchements à ne pas rater. Elle se doit d'être bon co-pilote.

  A destination, ils trouvent à se garer dans un parking en dehors du village. Une jolie allée ombragée les mène au bourg.

  Adèle est aussitôt sous le charme des rues pavées, des maisons aux vieilles pierres, du puits à la margelle usée d'avoir supporté tant de seaux d'eau. Vincent imagine déjà les histoires qu'il va pouvoir raconter à partir de ce lieu magique.

  Fanny enregistre dans sa mémoire les couleurs des parterres et fenêtres fleuris, en harmonie avec le granit des murs et se mariant admirablement avec le ciel bleu. Michel prend des photos avec l'appareil qu'il a pensé à apporter. Ravie, Fanny lui indique un ou deux points de vue qu'elle aimerait avoir pour ses croquis. Il apprend ainsi qu'elle aime peindre. Lui, adore cuisiner.

  Quand ils pensent à déjeuner, Fanny regarde autour d'elle et avise une auberge à quelques mètres de là. Vincent court lire les menus. Comme il les trouve à son goût, on entre joyeusement dans l'établissement. Tous s'installent autour d'une table ronde. Cette fois, c'est Michel qui prend le temps d'étudier la carte.

  Au moment du café, les adolescents s'échappent visiter les boutiques d'artisans et d'artistes, laissant les parents en tête-à-tête. Une conversation s'amorce doucement, à la découverte de leurs goûts respectifs.


  Puis les jeunes viennent les chercher: il y a un lac à cinq minutes, ce serait bien d'y prolonger l'après-midi. L'idée est bonne. Vincent va nager, Adèle s'occuper des canards et les adultes continuer d'échanger en faisant le tour du plan d'eau.

  
    5 – Nouvelle demeure
  Fanny et Michel se sont vus souvent pendant les mois suivants, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre; avec ou sans les amis, avec ou sans les enfants. Ils décident de vivre ensemble, dans un lieu nouveau pour tous. Il faut trouver la maison idéale. Cette partie du projet incombe à Michel. Il a bien compris que, si Fanny est de bon conseil, elle ne se sent pas concernée par l'intendance.

  A quelques minutes de la ville, il finit par dénicher une grande maison avec un verger attenant. Sans savoir pourquoi, il a toujours rêvé d'un verger. Il y a aussi une vaste cuisine, dans laquelle il pourra préparer de bons petits plats; un joli jardin pour Adèle qui adore planter des fleurs; une bibliothèque avec un grand bureau et un piano pour Vincent, avec qui il n'a toujours pas beaucoup de contact; un atelier où Fanny s'est empressée d'installer son chevalet, ses croquis et couleurs, tandis que ses toiles ornent les murs de toutes les pièces, même des chambres, situées à l'étage. Chaque habitant trouve son territoire dans la nouvelle maison.

  Adèle se plaît chez Michel et Fanny. Elle a choisi le papier peint de sa chambre, qu'elle décore à son goût. Le coquillage de Fanny est en bonne place dans une petite vitrine. Vincent est comme un grand frère, à la fois attentif et taquin. Comme il a maintenant une copine, il est moins présent, mais l'arrivée imminente d'un petit frère occupe beaucoup la jeune fille.

  Elle demande à sa mère si elle peut vivre plus souvent avec son père. Une semaine sur deux?

 Doris accepte l'arrangement d'autant plus volontiers qu'elle vient de rencontrer Georges, quinquagénaire actif et enjoué, toujours prêt à partir en week-end. Il est veuf, grand-père, et voit assez régulièrement sa fille, qui habite à 200 km avec son mari et leurs trois enfants.

  « Tu verras, ils sont charmants ! » 

  Adèle, fille unique, commence à avoir une vraiment grande famille. Juste un peu dispersée. Il faut qu'elle retienne son emploi du temps, géographiquement. Cela l'inquiète un peu.

  Afin de rassembler les pièces du puzzle, Fanny accroche le tableau Velleda dans l'entrée, près de la console où est déposé le courrier. Elle y inscrit la première indication: 
  
  « Partie accoucher, qui m'aime me suive ! »


Commentaires

  1. Charmant car à l'image de la vie avec ses entrelacs, ses attentes, ouvertures, incertitudes et attachements...Je ne me suis pas distrait une seule seconde. Il y a dans ces lignes actives sans un seul millimètre inutile un ton sûr à suivre les yeux fermés (tout en lisant, si si !). Ce qui m'attache fort ,aussi, c'est le regard à la fois distancié et bienveillant que je crois percevoir chez vous. Beau.

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    1. C'est que je m'attache aux personnages et m'inquiète de leur évolution :-) Merci de vos lectures, Clément

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