La rumeur par les auteurs


La rumeur

Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil! Et ne m'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas
Écoutez bien ceci: tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
De vos amis de cœur, ou, si vous l'aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu;
Ce mot que vous croyez qu'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort, de l'ombre!
Tenez, il est dehors! Il connaît son chemin
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main.
De bons souliers ferrés, un passeport en règle;
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et coetera,
Passe l'eau sans bateau dans la maison des crues
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l'individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage; il a la clef,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive et, railleur, regardant l'homme en face,
Dit: "Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel."

VICTOR HUGO

La Rumeur


Elle se nourrit de ragots
Et se complaît en démesure
« Je vous le dis
La chose est sûre
Je le tiens de source informée ! »
Et vite de la propager…

De bouche à oreille
Elle s’enfle
Grandit, s’affirme
Et se répand
Comme la lave du volcan
Elle brûle sur son passage
Langues et foies des médisants
Qui la vomissent tout crûment
En flots de biles innommables

Les plus belles réputations
Sous sa hargne se démantèlent
Les langues ont la partie belle
Sous le manteau des malfaisants

Mais quand le mal est fait, bernique
On y piétine la logique
La folle du logis répand
Ses insanités à tout vent

Combien d’innocents en prison
De vies brisées ou de suicides
Pour avoir de la calomnie
Subi le sinistre poison !

MICHELE CORTI

Laisse dire la calomnie


Laisse dire la calomnie
Qui ment, dément, nie et renie
Et la médisance bien pire
Qui ne donne que pour reprendre
Et n'emprunte que pour revendre...
Ah ! laisse faire, laisse dire !

Faire et dire lâches et sottes,
Faux gens de bien, feintes mascottes,
Langues d'aspic et de vipère ;
Ils font des gestes hypocrites,
Ils clament, forts de leurs mérites,
Un mal de toi qui m'exaspère.

Moi qui t'estime et te vénère
Au-dessus de tout sur la terre,
T'estime et vénère, ma belle,
De l'amour fou que je te voue,
Toi, bonne et sans par trop de moue,
M'admettant au lit, ma fidèle !

Mais toi, méprise ces menées,
Plus haute que tes destinées,
Grand coeur, glorieuse martyre,
Plane au-dessus de tes rancunes
Contre ces d'aucuns et d'aucunes ;
Bah ! laisse faire et laisse dire !

Bah ! fais ce que tu veux, ma belle
Et bonne, - fidèle, infidèle, -
Comme tu fis toute ta vie,
Mais toujours, partout, belle et bonne,
Et ne craignant rien de personne,
Quoi qu'en aient la haine et l'envie.

Et puis tu m'as, si tu m'accordes
Un peu de ces miséricordes
Qui siéent envers un birbe honnête.
Tu m'as, chère, pour te défendre,
Te plaire, si tu veux m'entendre
Et voir, encor que laid et bête.

PAUL VERLAINE

Basile :
La calomnie, monsieur !
J'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être accablés.
Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y prenant bien ; et nous avons ici des gens
d'une adresse !
D'abord un bruit léger, rasant le sol comme l'hirondelle avant l'orage pianissimo, murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné.
Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement.
Le mal est fait ; il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis, tout à coup, je ne sais comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler,
s'enfler, grandir à vue d'œil.
Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un
chorus universel de haine et de proscription.
Qui diable y résisterait ?

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
le Barbier de Séville

Quoi, frère, tu frémis parce qu'on te déchire !
Tu ne connais donc pas la force du sourire !
Quand tu te vois honni, hué, sifflé, raillé,
Par des faquins à l'âme obscure, au nom souillé,
Qui firent cent métiers et jouèrent cent rôles,
Tu prends trop de souci des choses que ces drôles
Disent de toi. Ton front s'assombrit ; tu t'émeus
Des sottises d'un tas de cuistres venimeux.
Regarde-moi. — Je suis seul, debout, sur la scène,
On m'insulte, je ris de leur rage malsaine
Et je vais ! Car mon cœur dans cet âpre chemin
Sent aujourd'hui l'honneur et la gloire demain.

Paris, juillet 1851.
Victor Hugo (1802-1885)

Recueil : Les quatre vents de l'esprit (1881).

LA MEDISANCE

Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites:
Tout peut partir d'un mot qu'en passant vous perdîtes;
Tout, la haine et le deuil! Et n'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas,
écoutez bien ceci: Tête à tête, en pantoufles,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
de vos amis de coeur,ou, si vous l'aimez mieux,
Vous murmurez tout seul croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave, à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce mot que vous croyez qu'on a pas entendu,
Que vous disiez si bas, dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre;
Tenez, il est dehors. Il connaît son chemin;
Il marche, à deux pieds, un bâton à la main,
Debout, souliers ferrés, un passe-port en règle;
Au besoin il prendrait des ailes comme l'aigle!
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera;
Il suit le quai, franchit la place, et coetera,
Passe l'eau sans bateau dans la saison en crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage, il a la clé;
Il ouvre l'escalier, pousse la porte, passe.
Entre, arrive, et, railleur, regardant l'homme en face,
Dit:" me voilà! je sors de la bouche d'un tel."
Et c'est fait, vous avez un ennemi mortel.

(Oeuvre postume) VICTOR HUGO

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