Etty Hillesum 1914 - 1943
http://www.amisdettyhillesum.fr/
Nouvelle association à Nantes (44):
Les Amis d'Etty Hillesum - Nantes
7 bis rue Victor Fortun
44400 Rezé
06.82.03.58.23
Etty Hillesum est une jeune juive hollandaise morte à Auschwitz en 1943. Elle a rédigé durant les trois années qui ont précédé sa déportation un journal remarquable, où elle se révèle être une véritable résistante spirituelle face au rouleau compresseur du nazisme.
EXTRAITS DES ÉCRITS D'ETTY HILLESUM (*)
Les extraits que nous donnons ici proviennent des écrits publiés aux éditions du Seuil :
- Une Vie Bouleversée, Journal (1941-1943) (Seuil - 1985).
- Lettres de Westerbork (Seuil - 1988).
- Les Écrits d'Etty Hillesum, Journaux et lettres 1941-1943 (Seuil - 2008)
Amitié
On doit agrandir constamment son cœur,
pour y faire beaucoup de place. La plupart des gens n'ont que peu de
place dans leur cœur. Lorsqu'ils y accueillent une nouvelle personne,
les autres sont obligés d'en sortir.
On doit faire en sorte que l'un ne soit pas lésé au profit de l'autre. Pour cela, il faut posséder vraiment beaucoup d'amour. Lorsque l'attention est captée par un nouveau visage, on ne doit pas en oublier soudain tous les visages anciens. Lorsqu'un sentiment éclot pour un être jusqu'alors inconnu, ceux que l'on éprouve pour les anciens amis ne doivent pas s'atténuer. On peut s'y éduquer. Lorsqu'on tient beaucoup à un être, on doit se garder d'investir toutes ses forces dans celui-ci, sinon il ne restera plus rien pour un autre. Dans les relations humaines authentiquement bonnes, on puise justement des forces dans l'amour ou l'amitié que l'on éprouve pour l'autre. Il faut être juste envers tous, on n'a pas le droit de manquer à l'un du fait d'un sentiment trop puissant pour l'autre. Cela exige beaucoup de force et beaucoup d'amour.
10 juin 1941
On doit faire en sorte que l'un ne soit pas lésé au profit de l'autre. Pour cela, il faut posséder vraiment beaucoup d'amour. Lorsque l'attention est captée par un nouveau visage, on ne doit pas en oublier soudain tous les visages anciens. Lorsqu'un sentiment éclot pour un être jusqu'alors inconnu, ceux que l'on éprouve pour les anciens amis ne doivent pas s'atténuer. On peut s'y éduquer. Lorsqu'on tient beaucoup à un être, on doit se garder d'investir toutes ses forces dans celui-ci, sinon il ne restera plus rien pour un autre. Dans les relations humaines authentiquement bonnes, on puise justement des forces dans l'amour ou l'amitié que l'on éprouve pour l'autre. Il faut être juste envers tous, on n'a pas le droit de manquer à l'un du fait d'un sentiment trop puissant pour l'autre. Cela exige beaucoup de force et beaucoup d'amour.
10 juin 1941
L’amitié, la considération, l’amour
qu’on nous porte en tant qu’êtres humains, c’est bien beau, mais tout ce
que nous voulons, en fin de compte, n’est-ce pas que l’homme nous
désire en tant que femmes ? Il me semble encore trop difficile de noter
tout ce que je voudrais dire sur ce sujet, d’une complexité infinie,
mais essentiel - et il importe que je parvienne à m’exprimer.
Lundi, le 4 août 1941, 2 heures et demie.
Lundi, le 4 août 1941, 2 heures et demie.
J'ignore si je suis capable d'une
grande amitié. Et si ce n'est pas dans ma nature, voilà une vérité à
regarder en face. En tout cas, ne jamais s'abuser soi-même sur quoi que
ce soit. Et savoir garder la mesure. Et ta seule mesure, c'est toi-même.
25 novembre 1941
25 novembre 1941
C'est peut-être l'essentiel dans une amitié : le réfléchissement réciproque. Et cette amitié avec S (a). est la première où cela devient une chose consciente.
20 décembre 1941
20 décembre 1941
Mais on ne "doit" pas aborder, et l'on
n'abordera pas, une personne à la lumière du jour en gardant en tête
l'image de ce qu'elle était la nuit. Laisse la nuit être la nuit et le
jour, le jour, ne soit pas injuste envers ce dernier en vertu des bons
souvenirs de la première et laisse chaque instant d'une amitié se
déployer selon sa valeur propre, sans le comparer, le rabaisser, ou
l'inhiber dans son développement par le biais du souvenir d'un autre
instant.
22 décembre 1941
22 décembre 1941
…j'ai pris conscience…une fois de plus,
qu'une amitié ne peut pas toujours être à marée haute et que l'on doit
accepter aussi les périodes de basses eaux, et même y voir un phénomène
positif et fructueux, alors la vie a recommencé à me traverser d'une
houle paisible.
23 décembre 1941
23 décembre 1941
J'estime que je ne mets pas encore
assez de continuité dans ma vie, on n'a pas le droit de laisser perdre
une seule minute, s'il n'y a pas le travail, il y a les gens, qui
réclament attention et compréhension qu'on ne peut leur accorder
pleinement que si l'on est constamment à l'écoute de soi-même, si l'on
travaille constamment sur soi-même. Et aussi : ne pas trop charger sa
barque, mener à bien toute chose et rester fidele à toute personne dont
on commence à s'occuper. Les rapports humains ne supportent pas le
caprice. Et des lors qu'on admet quelqu'un dans son monde intérieur, on
doit l'y laisser et c'est là qu'on doit poursuivre son travail sur lui.
Car voilà bien une nouvelle verité qui a surgi pour moi : on ne doit pas seulement "travailler" à sa propre vie intérieure, mais aussi à celle des gens que l'on a inclus dans son monde intérieur. On donne en fait à ses amis un espace en soi-même où ils puissent se développer et l'on essaie de les tirer au clair en soi-même, ce qui à la longue doit forcément aider les autres, quand bien même on ne leur en dirait jamais rien. Admettre en soi les gestes, les regards, les paroles, la problématique et la vie des autres et laisser cette vie se poursuivre au-dedans de .soi-même et la tirer au clair. Il y a là une mission intérieure.
16 mars 1942
Car voilà bien une nouvelle verité qui a surgi pour moi : on ne doit pas seulement "travailler" à sa propre vie intérieure, mais aussi à celle des gens que l'on a inclus dans son monde intérieur. On donne en fait à ses amis un espace en soi-même où ils puissent se développer et l'on essaie de les tirer au clair en soi-même, ce qui à la longue doit forcément aider les autres, quand bien même on ne leur en dirait jamais rien. Admettre en soi les gestes, les regards, les paroles, la problématique et la vie des autres et laisser cette vie se poursuivre au-dedans de .soi-même et la tirer au clair. Il y a là une mission intérieure.
16 mars 1942
Je vais retrouver S (a).
Il est mon meilleur ami. Il est mon meilleur ami. Oui vrai de vrai. Je
vais me réchauffer un petit moment à ses rayons et il est mon ami. Il
est là tout entier. Il n'est pas en prison, ni dans un pays lointain. Il
est ici, dans la rue Nicolas Maes, je vais le retrouver dans un instant
et il sera là en chair et en os, je le regarderai au fond des yeux et
j'aurai plaisir à voir cette tête marquée par la vie. Et le meilleur de
tout : il est mon ami.
22 mars 1942
22 mars 1942
…une amitié aussi, cela se "travaille", d'un travail intérieur".
27 mars 1942
27 mars 1942
Le soleil est à présent très chaud et
je vais me trainer sur le toit en terrasse de Liesl, je préférerais à
vrai dire rester à mon bureau, où il fait frais mais où le soleil est
toujours présent en arrière-plan. Mais il faut aussi se consacrer à
l'amitié et si cela fait plaisir à cette petite femme, que je lui rende
visite…?
21 juin 1942
21 juin 1942
Tu sais Osias (b),
j'ai beaucoup d'amis. Il y a ceux qui viennent me voir avec leurs
problèmes psychologiques, et avec qui il me faut beaucoup parler. Il y
en a plusieurs, à qui j'écris régulièrement et longuement parce que je
m'aperçois qu'ils en en ont besoin et que je veux les aider.
Toi, c'est tout autre chose : tu es là, dans ma vie, tu es devenu inséparable de ma vie, je mène souvent de grandes conversations avec toi, mais je ne ressens jamais la nécessité de les noter, je me dis toujours que tu t'en rendras aussi bien compte sans recevoir de lettre de moi.
…Je serais terriblement peinée si tu avais l'impression que je me soucie moins de toi qu'auparavant. Ce que j'ai vécu de beau et d'humain avec toi est incorporé à ma vie affective et est toujours présent.
16 janvier 1943
Toi, c'est tout autre chose : tu es là, dans ma vie, tu es devenu inséparable de ma vie, je mène souvent de grandes conversations avec toi, mais je ne ressens jamais la nécessité de les noter, je me dis toujours que tu t'en rendras aussi bien compte sans recevoir de lettre de moi.
…Je serais terriblement peinée si tu avais l'impression que je me soucie moins de toi qu'auparavant. Ce que j'ai vécu de beau et d'humain avec toi est incorporé à ma vie affective et est toujours présent.
16 janvier 1943
J'ai ici beaucoup de bons moments, Mechanicus (c),
avec qui je fais des promenades sur l'étroite bande de terre aride
entre fossés et barbelés, me lit chaque jour ce qu'il a glané depuis le
matin. On noue ici des amitiés qui suffiraient à meubler plusieurs vies.
Je trouve encore le temps d'une petite discussion philosophique avec
Weinreb (d) un homme qui est un monde en soi. Entouré d'une atmosphère particulière qu'il parvient à préserver contre vents et marées.
Lettre à Han Wegerif et autres (postérieur au 26 juin 1943)
Lettre à Han Wegerif et autres (postérieur au 26 juin 1943)
Mort
IAvec toutes ses souffrances autour de
soi, on en vient à avoir honte d’accorder tant d'importance à soi-même
et à ses états d’âme. Mais il faut continuer à s’accorder de
l’importance, rester son propre centre d’intérêt, tirer clair ses
rapports avec tous les événements de ce monde, ne fermer les yeux devant
rien, il faut « s’expliquer» avec cette époque terrible tâcher de
trouver une réponse à toutes les questions de vie ou de mort qu’elle
vous pose. Et peut-être trouvera-t-on une réponse à quelques-unes de ces
questions, non seulement pour soi-même, mais pour d'autres aussi. Je
n’y puis rien si je vis. J’ai le devoir d’ouvrir les yeux. Je ne dois
pas non plus me fuir moi-même. Je me sens parfois comme un pieu fiché au
bord d’une mer en furie, battu de tous côtés par les vagues. Mais je
reste debout, j’affronte l’érosion des années. Je veux continuer à vivre
pleinement.
13 août 1941
13 août 1941
Hier en rentrant chez moi à bicyclette,
pleine d'une indicible tristesse, accablée sous une chape de plomb,
j'ai entendu les avions passer au-dessus de ma tête l'idée subite qu'une
bombe pouvait mettre fin à ses jours m'a emplie d'un sentiment de
libération. Il m'arrive souvent, ces derniers temps de trouver plus
facile de mourir que de vivre.
9 Septembre 1941
9 Septembre 1941
Pourvu que je ne passe pas de vie à trépas à cause de l’acide prussique qui a servi à exterminer les mites.
29 septembre 1941
29 septembre 1941
Hier, j'étais tentée de dire à mes amis
: "Ecoutez, si une bombe me tombe dessus aujourd'hui ou demain, n'en
faites pas un drame, consolez-vous plutôt à la pensée que je serai
contente d'être délivrée".
7 octobre 1941
7 octobre 1941
Parfois je ne tiens plus le rythme et
je veux un point fixe. Mais il n'existe pas. Sauf dans la mort. De là
peut être, parfois, ce désir de mort, de néant, de la chape du grand
silence.
21 octobre 1941
21 octobre 1941
Hier matin, marchant dans le
brouillard, j'ai retrouvé ce sentiment : j'ai atteint les limites, j'ai
déjà tout vu, tout vécu, pourquoi vivre plus longtemps ? Je connais tout
cela, je n'irai pas plus loin désormais, les limites se rapprochent et
au-delà il n'y a plus que l'asile d'aliénés. Ou la mort ?
5 décembre 1941
5 décembre 1941
Et ne vivons-nous pas chaque jour une
vie entière et importe-t-il vraiment que nous vivions quelques jours de
plus ou de moins ? Tous les jours je suis en Pologne, sur les champs de
bataille-on peut bien leur donner ce nom : parfois la vision d’un champ
de bataille d’un vert vénéneux s’impose à moi ; tous les jours je suis
auprès des affamés, des persécutés et des mourants, mais je suis aussi
près du jasmin et de ce pan de ciel bleu derrière ma fenêtre, il y a
place pour tout dans une vie. Pour la foi en Dieu et pour une mort
lamentable.
2 juillet 1942
2 juillet 1942
Ah, nous avons cela en nous : Dieu, le
ciel, l'enfer, la terre, la vie, la mort et les siècles, tant de
siècles. Les circonstances extérieures, forment un décor et une action
changeants. Mais nous portons tout en nous et les circonstances ne
jouent jamais un rôle déterminant : il y aura toujours des situations
bonnes ou mauvaises à accepter comme un fait accompli – ce qui n'empêche
personne de consacrer sa Vie à améliorer les mauvaises. Mais il faut
connaître les motifs de la lutte qu'on mène, et commencer par se
réformer soi-même, et recommencer chaque jour.
3 juillet 1942
3 juillet 1942
"J'ai réglé mes comptes avec la vie",
je veux dire : l'éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder
la mort en face et l’accepter cette mort, cet anéantissement, toute
forme d’anéantissement, comme partie intégrante de la vie, c'est élargir
cette vie. A l'inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau
de cette vie, par peur de la mort et refus de l'accepter, c'est le
meilleur moyen de ne garder qu'un pauvre petit bout de vie mutilée
méritant à peine le nom de vie. Cela peut paraître presque paradoxal :
en excluant la mort de sa vie on se prive d'une vie complète, en l'y
accueillant on élargit et on enrichit sa vie.
3 juillet 1942
3 juillet 1942
Mais on n'a pas le droit tant qu'on vit encore, de se laisser mourir, on doit vivre sa vie pleinement et jusqu'au bout.
4 juillet 1942
4 juillet 1942
Nous parlions hier soir des camps de
travail. Je disais "Je n'ai pas d'illusion à me faire, je sais que je
mourrai au bout de trois jours, parce que mon corps ne vaut rien.»
Werner pensait la même chose de lui-même. Mais Liesl a dit : "Je ne sais
pas, mais j'ai le sentiment que je m'en sortirai quand même." Je
comprends très bien ce sentiment, je l'avais moi-même avant. Un
sentiment de force, de ressort indestructible. Je ne l'ai d'ailleurs pas
perdu, dans son principe il est toujours là. Mais il ne faut pas le
prendre non plus en un sens trop matérialise. Il ne s'agit pas de savoir
si ce corps privé d'entraînement tiendra le choc, c'est relativement
peu important ; même si l'on doit connaître une mort affreuse, la force
essentielle consiste à sentir au fond de soi, jusqu'à la fin, que la vie
a un sens, qu'elle est belle et que l'on a réalisé ses virtualités au
cours d'une existence qui était bonne, telle qu'elle était.
5 juillet 1942
5 juillet 1942
J'ose à peine continuer à écrire ;
c'est étrange on dirait que je vais presque trop loin dans mon
détachement de tout ce qui, chez la plupart, produit un véritable
abrutissement. Le jour ou je saurai, ou je saurai avec certitude que je
mourrai la semaine suivante, je serai capable de passer mes derniers
jours à mon bureau à étudier en toute tranquillité, sans que ce soit une
fuite, car je sais maintenant que vie et mort sont unies l'une à
l'autre d'un lien profondément significatif ; non, ce sera un simple
glissement, même si la fin, dans sa forme extérieure, doit être lugubre
ou atroce.
6 juillet 1942
6 juillet 1942
Je n'ai encore jamais vu un mort. En
ce moment où meurent chaque jour des milliers de gens, je n'ai encore
jamais vu un seul mort.
16 septembre 1942 (e)
16 septembre 1942 (e)
…Et ce soleil radieux qui inonde la lande, il devrait être mort de honte, au fond.
25 août 1942
25 août 1942
Questions
Hier, j'ai cru un moment ne plus
pouvoir continuer à vivre, avoir besoin d'aide. J'avais perdu le sens de
la vie et le sens de la souffrance, j'avais l'impression de "m'effondrer"
sous un poids formidable, pourtant là encore j'ai continué à me battre,
et tout à coup je me suis sentie capable d'avancer, plus forte
qu'auparavant. J'ai essayé de regarder au fond des yeux la "Souffrance"
de l'humanité, je me suis expliquée avec elle, ou plutôt : "quelque
chose" en moi s'est expliqué avec elle, nombre d'interrogations
désespérées ont reçu des réponses, la grande absurdité a fait place à
un peu d'ordre et de cohérence, et me voilà capable de continuer mon
chemin. Une bataille de plus, brève mais violente, dont je suis sortie
dotée d'un infime supplément de maturité.
Je dis que c'est moi qui me suis expliquée avec la "Souffrance de l'Humanité"(ces grands mots me font encore et toujours grincer des dents). Mais ce n'est pas tout à fait juste. Je me sens plutôt comme un petit champ de bataille où se vident les questions, ou du moins quelques-unes des questions, posées par notre époque. Tout ce qu'on peut faire, c'est de rester humblement disponible pour que l'époque fasse de vous un champ de bataille. Ces questions doivent trouver un champ clos où s'affronter, un lieu où s'apaiser, et nous, pauvres petits hommes, nous devons leur ouvrir notre espace intérieur et ne pas les fuir.
…
On ne doit pas se perdre continuellement dans les grandes questions, être un champ de bataille perpétuel il est bon de retrouver chaque fois ses étroites limites personnelles entre lesquelles on peut poursuivre consciemment et consciencieusement sa petite vie, sans cesse mûrie et approfondie par les expériences accumulées dans ces moments "dépersonnalisés" de contact avec l'humanité entière.
15 juin 1941
Je dis que c'est moi qui me suis expliquée avec la "Souffrance de l'Humanité"(ces grands mots me font encore et toujours grincer des dents). Mais ce n'est pas tout à fait juste. Je me sens plutôt comme un petit champ de bataille où se vident les questions, ou du moins quelques-unes des questions, posées par notre époque. Tout ce qu'on peut faire, c'est de rester humblement disponible pour que l'époque fasse de vous un champ de bataille. Ces questions doivent trouver un champ clos où s'affronter, un lieu où s'apaiser, et nous, pauvres petits hommes, nous devons leur ouvrir notre espace intérieur et ne pas les fuir.
…
On ne doit pas se perdre continuellement dans les grandes questions, être un champ de bataille perpétuel il est bon de retrouver chaque fois ses étroites limites personnelles entre lesquelles on peut poursuivre consciemment et consciencieusement sa petite vie, sans cesse mûrie et approfondie par les expériences accumulées dans ces moments "dépersonnalisés" de contact avec l'humanité entière.
15 juin 1941
Avec toutes ses souffrances autour de
soi, on en vient à avoir honte d’accorder tant importance à soi-même et à
ses états d’âme. Mais il faut continuer à s’accorder de l’importance,
rester son propre centre d’intérêt, tirer clair ses rapports avec tous
les événements de ce monde, ne fermer les yeux devant rien, il faut «
s’expliquer» avec cette époque terrible tâcher de trouver une réponse à
toutes les questions de vie ou de mort qu’elle vous pose. Et peut-être
trouvera-t-on une réponse à quelques-unes de ces questions, non
seulement pour soi-même, mais pour d'autres aussi. Je n’y puis rien si
je vis. J’ai le devoir d’ouvrir les yeux. Je ne dois pas non plus me
fuir moi-même. Je me sens parfois comme un pieu fiché au bord d’une mer
en furie, battu de tous côtés par les vagues. Mais je reste debout,
j’affronte l’érosion des années. Je veux continuer à vivre pleinement.
13 août 1941
13 août 1941
"Vous êtes si jeune, vous êtes avant
tout commencement, et j'aimerais vous prier des toutes mes forces, cher
Monsieur, d'avoir de la patience face à tout ce qu'il y a encore
d'irrésolu dans votre cœur et d'essayer d'aimer les questions
elles-mêmes, comme des pièces fermées ou comme des livres écrits dans
une langue très étrangère. Pour le moment, ne cherchez pas des réponses
qui ne vous seront pas données, parce que vous ne pourriez pas les
vivre. Or, il s'agit de tout vivre. Pour le moment, vivez les questions.
Peut être, la vie vous fera-t-elle progressivement, insensiblement,
entrer un jour lointain dans la réponse."
R. M. Rilke Lettres à un jeune poète Lettre du 16 juillet 1903
Cité le 20 février 1942
R. M. Rilke Lettres à un jeune poète Lettre du 16 juillet 1903
Cité le 20 février 1942
Autrefois, j'esquivais sournoisement
toute réponse à une lettre, j'attendais jusqu'à ce que l'occasion d'une
réponse orale se présente. Derrière une telle attitude, il y a tant de
négligence et de lâcheté, peut-être de la peur, celle de ne pas écrire
une "belle" lettre, le refus de se livrer d'une quelconque manière. Et
cela fait partie de la culture, de l'éducation, ou peu importe le nom
qu'on veut lui donner, de ne pas laisser partir en fumée les mots qu'on
nous adresse. Lorsque cela a un sens et lorsqu'on en éprouve le besoin,
il faut répondre au moindre appel. Aux questions qui viennent vers
vous, on devrait répondre le mieux possible, en y apportant la réponse
qui se trouve être mûre en vous à ce moment là. Je pense qu'il y a
beaucoup de questions sans réponse qui, impuissantes, restent en
suspens dans l'atmosphère, allant d'une personne à l'autre, et si
chacun, à sa manière et selon ses capacités, commençait à délivrer ces
questions de leur quête et de leur impuissance, leur permettant
d'obtenir une réponse, un refuge, il n'y aurait pas ce monde effrayant
de questions sans abri.
10 juin 1942
10 juin 1942
a - Julius Spier
b - Max Osias Kormann (Pologne 1895-New
York 1959).Rencontré à Westerbork où il était directeur adjoint d'un
service. 22 lettres entre E H et Max Osias Kormann ont été retrouvées.
c - Philip Mechanicus (Amsterdam 1889- Auschwitch
1944) grand reporter, spécialiste de politique étrangère d'un
quotidien. Il tint un journal qui constitue le témoignage le plus
complet et le plus précis sur la vie du camp de Westerbork.
d - Friedrich Weinreb rencontré à Westerbork.
e - Lendemain du décès de Julius Speer
Textes choisis par Jeanne-Marie Ménard
https://fr.wikipedia.org/wiki/Etty_Hillesum
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