Antoine Emaz

AntoineEmaz/ Dans le moi, un poids, un caillou... Antoine Emaz un poète essentiel
http://remue.net/cont/emaz.html



Photographie Dominique Houyet
"Ce monde est sale de bêtise, d'injustice et de violence; à mon avis, le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves ou un enchantement de langue; il n'y a pas à oublier, fuir ou se divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence. J'écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé. "
Antoine Emaz est né en 1955. Il vit à Angers où il enseigne en collège. Il est l'auteur d’une trentaine d’ouvrages. Outre ses oeuvres poétiques, il a publié des études littéraires et critiques, des textes et poèmes dans de nombreuses revues ainsi que plusieurs livres d'artistes et un essai sur André du Bouchet. Il a principalement publié aux Editions Tarabuste, Fourbis, Deyrolle, Le Dé bleu, Théodore Balmoral... Une anthologie intitulée Caisse claire  a été éditée en poche aux Editions du Seuil (points-poésie) ; ce volume réunit les poèmes parus entre 1990 et 1997. L’éditeur le présente ainsi : « sa poésie, parfois d’une extrême concision, tend vers le plus de justesse possible, au ras du réel. De courts textes en vers libres alternent avec des paragraphes brefs, justifiés, comme des blocs denses. Ici les mots sont des " grains de sable ", édifices dérisoires qui sculptent le vide, le temps, le non-sens. Un auteur essentiel de la poésie française contemporaine ».

Citons Antoine Emaz :
"D'ordinaire, je ne dis rien de plus, considérant que mes poèmes disent ce que j'ai à dire de ma vie. Le reste est anecdotique et risquerait de fausser la lecture plus que de l'éclairer. Je peux discuter avec une classe sur ce point. Je considère que le poème doit aller vers l'autre, et non revenir vers moi, en une sorte de miroir. C'est donc au lecteur de construire, à partir du poème, sa propre lecture, avec ses expériences et sa mémoire personnelle. "

"Ensuite, vie ordinaire, entre pas facile et pas impossible, comme tout le monde. Je ne vois pas bien quoi dire d'autre qui serait un peu nécessaire, ou éclairant, au-delà, autour ou en-deçà des poèmes. Si tout poème est bien de circonstances, écrire vise à délaver assez pour qu'il devienne une interface, et non un miroir. Voilà pourquoi devoir alimenter le moulin biographique me gêne toujours autant. Une chose pourtant : je revendique le droit à la contradiction, au risque, à la tentative, voire au ratage. La poésie n'est pas pour moi un exercice réussi lorsque les contraintes ou les procédures ont été respectées, elle est à chaque fois invention d'un écrire-vivre, tension de langue contre ce qui nous rend muets." Antoine Emaz"

    Antoine Emaz

    “ Je ne pense pas, je note ” (Pierre Reverdy)

http://www.maulpoix.net/Emaz.html

Antoine Emaz

La poésie qui lapide, la poésie qui grêle


"Dans les limites du possible, la mer. Mais déjà, par de désir de houle et d’air, comme un mieux, une respiration un peu plus large.
Engluée dans l’été, une ville de province, qu’importe son nom, loin dans les terres immobiles. Et la mer, là-haut, vaste, plein nord, attend.

Un bocal de sable gris : rien d’autre pour retrouver son chemin. Le plus souvent, cela suffit : un bocal de sable et quelques grains grossiers restés au bout des doigts ou sur la table : on rassemble ces miettes en petit tas, et si la mer ne vient pas sur la table, elle n’est pas loin, appelée par le sable – peut-être dans le sable encore un mouvement – il suffit de ne plus voir."
Antoine Emaz - C'est, Deyrolle éditeur, page 37





Être là, dans le jardin, sous les grands arbres.

Le feuillage, vu d’en dessous, dans la lumière.
Transparence, mouvement berçant des feuilles.

Beaucoup de choses et d’événements importants
auxquels on ne fait pas attention.

Dans le jardin entouré de hauts murs.

In Sauf, © Tarabuste, 2011, p.15, extrait de Deux poèmes, 1987

****
Ce paysage traversé chaque jour surprenait : peu à peu, on ne le découvre plus que rarement :
on l’habite.

À la limite, on ne le voit même plus, on est dedans, au large.

Ainsi pour certains textes qui deviennent de vrais lieux.

Des espaces où s’allège un peu le poids.

Ibid p 16-17
****
À la longue
on apprend à vivre
de peu
et à tenir
dans ce long combat sans adversaire
sur qui s’appuyer

Ibid p 29, extrait de Poèmes communs, 1989
****
l’élargissement viendra
du dedans
s’il doit venir

pour l’heure
on aménage l’espace restreint
et sous les livres
on arrive à ne plus voir les murs

ainsi
à l’étroit dans ce qui est possible
on est
debout
encore

on dure


Ibid p 41, extrait de En deça, 1990
****
Constituer comme un parapet
un garde-fou
un balcon pour voir venir
la nuit

voilà ce qu’il faudrait
solide et stable

on pourrait s’appuyer là
le soir
au calme
et voir venir

Ibid p 72-73, extrait de C’est, 1992
****
On ne sait pas. On n’a pas prise. Les mots sont dans leur attente et on est là.

Seul. On écrit un soir bleu doré d’été facile. Mais ce n’est pas ça. On bloque de plus loin que le bleu

****
Parfois, brusque, cette extrême lisibilité d’être, une transparence d’agate, qui dure un peu. Le tambour interne se tait presque. En équilibre dans l’air, sur une pointe qu’on ne voit pas, tout est clair ; on peut comme traverser son propre corps. Il est une part d’espace, sans encombre. Puis, tout revient, étroit et lourd.


Ibid p 163, extrait de Soir, 1999

****
(10.12.96)

écrire comme sortir du cercle sans voir pour l’heure si vraiment c’est une issue possible qui s’ouvre ou si on change d’orbite seulement on ne se rend pas compte on va tant que ça dure dans cette charriée de temps qui tourne autour sans savoir dans quel sens


Ibid p 183, extrait de Soirs, 1999

****
(6.01.97)

journée
on compte le petit tas de temps

on est encore là
donc on peut tenir demain
un autre petit tas
et ainsi de suite

ça devrait aller


Ibid p 188
****
(7.01.97)

à force
la mécanique du corps
s’use

on le sent mal

on fait comme si c’était
de rien
on sait que ce n’est plus

du temps a fui
chuinte encore faible

brusquement voir sa peau
comme une vieille chambre à air

on retourne au blanc

soir clos
on éteint

Ibid p 190
****
(7.09.98)

Poème pour bercer une douleur face au ciel devenu rose ou presque, un des derniers d’été. Tourner la page et entrer dans l’hiver avec ce soleil moribond ce soir sans arches mais bien la nuit qui marche lente en tirant le linceul oui des heures passées sans dormir à redire le poème comme une litanie intime, une chanson basse. Recueillir le poème et assagir le soir comme pour une accalmie interne, en s’appuyant sur les douleurs anciennes pour atténuer la sienne, la diluer, l’aquarelliser.

Ibid p 229

****

(25.09.98)

Cette lisière bleue au bas du tergal des rideaux, comme une ride sur le sable à marée basse, mais si bleue quand la lumière dehors s’éteint plus tôt avec l’automne.

Cette petite frange inattendue de couleur qui n’est qu’incidence, angle momentané de frappe lumineuse sur le voilage, seulement cela, mais comme un contrepoids du jour.

Se poser dans une couleur, être absorbé par elle, se dissoudre. Le temps d’écrire, elle sera presque partie et restera le tombé droit et gris des rideaux, éteints.

De mémoire remonte le violacé de la plage, dans les traces de pas le soir sur le sable sec, quand la lumière se couche, faible, et rase les crêtes formées par le poids des corps un jour sans vent, alors que dans les creux se tasse de l’ombre.

****

Retourner dans le calme présent de cette couleur qui s’efface exactement comme on tourne la tête sur l’oreiller pour trouver le bord le plus frais quand la nuit pèse autour.

Bleu clos. C’est l’ombre maintenant. L’œil se replie dans ce qu’il a pris au bord du rideau. On est là ; il y a eu un moment où tout semblait tenir par cette sorte de bleu bref né de la vitre, du tergal, et d’une lumière d’automne. On ne sait déjà plus vraiment comment c’était, quel ton c’était, mais son calme, encore. Comme si la lumière coulait au long du rideau jusqu’à déposer au sol cette frange de phosphore bleu.

Il n’en reste rien ; ça s’éteint dans l’œil ; il y a le rideau, plus gris maintenant que l’halogène est allumé, et le sol carrelé, pâle.

Ibid p 230-231

****

Las, 4

(14.09.99)

se sentir vieux d’un coup
trop
comme si tout le corps
refluait

quelle voix encore
dans la traîne de mots

coques coquilles coquillages
voilà ce qui
reste
pilé très fin
usé jusqu’à poussière
levée par le vent

sable

Ibid p 291, extrait de Ras , 2001


Antoine Émaz, « une voix qui parle bas, chante à peine, comme venue de l’enfance. Sans aucune de ces métaphores ou effets rhétoriques qui font, dit-on, la poésie. Une voix qui ne dit pas, mais laisse être la vie et vous laisse au bord », écrit Jacques Ancet (revue Europe, juin-juillet 2008, p. 353).

Quant aux pages qui présentent chacun des recueils que rassemble Sauf, elles se trouvent comme ensoleillées par les encres colorées de Djamel Meskache, qui leur offre une lumière nouvelle. Les encres de Djamel Meskache convenant parfaitement à la poésie aride d’Antoine Émaz. Une belle complicité entre le poète et le peintre, qui est aussi son éditeur (Tarabuste), qui s’est déjà exprimée avec les recueils Sable(1997), Ras (2001), Peau (2008) et Plaie (2009).

Bibliographie (concernant le recueil Sauf)
Poème en miettes, © Tarabuste, 1986
Deux poèmes, © Tarabuste, 1987
Poèmes communs, © Echoptique, 1989
En deça, © Fourbis, 1990
Poème, carcasse, © Tarabuste, 1991
L’Élan, l’impact, © Petits classiques du grand pirate, dessins de Pierre Emptaz, 1991
Poème : Trois jours, l’été, © PAP, dessins de Sophie Bouvier, 1992
C’est, © Deyrolles, 1992
Peu importe, © Le Dé bleu, 1993
Poème, corde, © Tarabuste, 1994
De près, de plus loin, livre d’artiste avec Jean-Marc Scanreigh, © Guillaume Dumée, 1996
Sans faire d’histoire, livre d’artiste avec Jean-Marc Scanreigh, 1998
Soir, livre d’artiste avec Anne Slacik, © Slacik, 1999
Soirs, livre d’artiste avec Joël Leick, © Tarabuste, 1999
Un de ces jours, livre d’artiste avec Jean-Marc Scanreigh, 1999
D’une haie de fusains hauts, livre d’artiste avec Marie Alloy, © Le silence qui roule, 2000

Ras, © Tarabuste, 2001



Bibliographie (à partir de 2008)

Peau, © Tarabuste, 2008
Cambouis, notes, © Seuil, 2009
Lichen encore, notes, © Rehauts, 2009
Plaie, © Tarabuste, 2009
Jours – Tage, édition bilingue français-allemand, © Éditions en Forêt / Verlag im Wald, 2009
Poèmes pauvres, illustrations de Jean-Marc Scanreigh, © AEncrages & Co, 2010
Sauf, © Tarabuste, 2011

Sur l’auteur
Antoine Émaz salué par ses pairs, numéro spécial de la revue Scherzo, n° 12-13, été 2001
Numéro spécial de la revue Nu(e), n°33, septembre 2006
Numéro spécial du Matricule des Anges, n° 93, mai 2008

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