Bella Akhmadoulina 1937 2010

 INCANTATION

Ne me pleurez pas, je saurai vivre
en mendiante heureuse, en gentille bagnarde,
en méridionale glacée par le climat nordique,
en Pétersbourgeoise poitrinaire et méchante
dans la malaria du sud je vivrai.



Ne me pleurez pas, je saurai vivre
en cette boiteuse aux portes de l’église,
en cet ivrogne la tête contre la table,
en ce pauvre barbouilleur de madones,
en peintre malchanceux je vivrai.

Ne me pleurez pas, je saurai vivre
en cette fillette apprenant à lire
qui, dans un avenir brumeux,
sous ma frange rousse saura mes vers
par cœur comme une sotte. Je vivrai.
Ne me pleurez pas, je saurai vivre
en sœur plus charitable que de charité,
dans l'insouciance mortelle de la guerre,
sous la clarté de mon étoile,
quoi qu’il advienne, malgré tout je vivrai.

Bella Akhmadoulina -

Traduction Christine Zeytounian-Beloüs



DORMIR

(Poème écrit à Tbilissi durant une insomnie.)

Moi qui danse sous la lune de Mtskheta,
qui pleure par tous les muscles de mon corps,
devenue une ombre rétrécie,
qui n’entre pas dans l’église de Sveti-Tskhoveli,
moi, fil d’argent nu qui s’enfile
dans ton aiguille, Tbilissi,
moi qui vis sous les astres dans l’attente de l’aube,
gelée jusqu’au sang dans ta serre,
qui ne sais pas m’endormir dans tes nuits,
dont la folie pervertit mes amis,
qui possède une prunelle de cheval dans les yeux,
et rue aux brancards des rêves,
moi qui chante à l’aube sur le pont :
«Pardonne-nous tous nos péchés, matin,
et dore la misère de nos ventres brûlés
de ton présent, soupe aux tripes khachi»,
moi qui galope de travers et recule
dans l'insomnie, dans son méchant canular,
Seigneur, comme je voudrais dormir
au sein du lit profond tel un berceau.
Dormir en m’endormant. Dormir en m’éveillant.
D’un sommeil lent, comme on goûte une boisson.
Dormir et sucer le bonbon du sommeil,
versant l’excès de douceur en salive.
Et me réveiller tard sans ouvrir les yeux,
prolonger la tentation du secret de la météo qui illumine le lit
d’un salut pour l’heure ajourné.
Le cerveau non voyant comme une étoile morte.
Le pouls doux comme la sève d’un arbre endormi.
O dormir à nouveau ! Longtemps. Dormir toujours.
D’un sommeil aussi clos qu’au ventre maternel.

(I960)
Bella Akhmadoulina, Histoire de pluie et autres poèmes
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/Akhmadoulina/akhmadoulina.html

http://www.lecture-ecriture.com/3791-Histoire-de-pluie-et-autres-po%C3%A8mes-Bella-Akhmadoulina

http://www.encres-vagabondes.com/magazine/akhmadoulina.htm

http://stengazeta.over-blog.com/article-bella-akhmadoulina-le-long-de-ma-rue-bella-akhmadoulina-115396438.html

https://fr.rbth.com/articles/2010/12/01/poetesse_bella_akhmadoulina_n_est_plus04737

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bella_Akhmadoulina 

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