Ex-voto ~ Gabrielle Burel sur La Cause Littéraire
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Également sur An Amzer n° 56 - juin 2015
Critique de Ex-voto sur Cahiers Rue Ventura n° 29 - septembre 2015 - par Claude Cailleau
Également sur An Amzer n° 56 - juin 2015
Critique de Ex-voto sur Cahiers Rue Ventura n° 29 - septembre 2015 - par Claude Cailleau
Quand
ils pénètrent dans le bar, Florian est effaré : les murs sont couverts
de maquettes de navires et de photos jaunies de marins, tandis qu’au
plafond se balancent au bout de leur chaîne d’autres bateaux miniatures,
démâtés ou éventrés. Sur le zinc sont alignées des carafes remplies de
rhums aromatisés aux couleurs variées, mixtures improbables où ne
manquent que têtes réduites, herbes et scorpions desséchés. Pendant ce
temps Norbert fait le tour de ses amis, qui ignorent allègrement
Florian : celui-ci détonne dans cette réunion d’habitués. Seul un couple
le salue gentiment.
Au fond de la salle, devant le mur
couvert d’un pavillon pirate, un groupe prépare une lecture-spectacle,
pendant que les consommateurs prennent place aux tables avoisinantes.
Florian pose son sac à dos sur un tabouret de moleskine et reste debout
près du comptoir, fasciné par ces visages sur papier glacé, qui le
dévisagent d’outre temps sans lui préciser s’ils ont pu être sauvés.
Bientôt le silence se fait. Dans un raclement de chaise et de gorge,
l’interprète annonce à pas glissés le programme de la soirée à ses
fidèles au regard intense.
Ses
propos sont ponctués de divers accompagnements déconcertants :
harmonica, xylophone et surtout une voix hors-champ, véritable corne de
brume qui fait frissonner Florian. Il écoute à peine, encore imprégné
des ex-voto qui gémissent sans cadence au-dessus des têtes. Norbert l’a
rejoint, a pris un tabouret devant lui.
Les textes sont déprimants et
s’enchaînent lentement entre les explications fastidieuses de la
voix-off. Norbert se replie sur lui-même, profondément absorbé par le
spectacle, cependant que Florian décroche peu à peu. Les décorations des
murs desserrent leur emprise, pourtant la représentation ne parvient
pas à le saisir. Il regarde alentour, avise derrière lui la porte
entr’ouverte et note qu’il n’y a pas d’obstacle entre l’issue et lui. Il
lève une main vers l’épaule de Norbert qui, à ce moment, se
recroqueville un peu plus, embarqué sur un flot douloureux. Florian
retient son geste. Il regarde son sac, qui semble l’attirer vers
l’extérieur. Soudain, suivant une impulsion, il le saisit et le suit
dehors. Il repousse la porte avec trop d’énergie : elle grince
horriblement, comme un cri lugubre échappé d’un fond de cale. Florian
est désolé, il ne voudrait pas gâcher cette ambiance si délicieusement
plombée.
Une fois à l’air libre, il est surpris
par la douceur du temps printanier. Sac à l’épaule, il marche vivement
droit devant lui et rejoint bientôt un quartier animé. Des musiques
entraînantes s’échappent des cafés. Les badauds flânent gaiement. Il est
frappé par les visages souriants et débordants de vie de ce vendredi
soir. Happé par la foule légère qui l’entoure, Florian, délivré, court
vers un bus avec une dernière pensée pour Norbert, qui finira bien par
se retourner.
Gabrielle Burel
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