Jean Follain 1903 - 1971




Son œuvre est l'une de celles qui ont le plus contribué à l'avènement d'une poésie nouvelle, dégagée de l'empreinte du surréalisme.


http://ardentpays12.over-blog.com/2015/06/jean-follain-pour-ne-pas-oublier.html


Les passants

De l’arsenal des fards
l’une s’approche au bord du soir
tandis que son amant
vole un pain miraculeux
et puis ses longues jambes
artificieuses frémissent
quand sur le pavé mouillé
passent d’illustres dandies
l’un laisse sur son épaule
une feuille morte tombée
de l’arbre qui n’a plus de voix
et lui non plus ne dit mot
parce qu’il pose pour l’histoire
le gris fin de son vêtement
attend la tache de sang
et son grand visage grec
ressemble étrangement
à celui qu’avait sa mère
au village de naguère.


In Exister, © Gallimard-Poésie p. 21

http://bengricheahmed.over-blog.com/article-jean-follain-83252096.html


http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/follain/follain.html







Tous droits réservés © Éditions Gallimard

LES LIVRES ET L'AMOUR

Les livres dont s'emplit la chambre comme
des harpes éoliennes s'émeuvent quand
passe le vent venu des orangers
et la lettre dans la page incrustée
se retient
au blanc papier de lin
et la guerre au loin tonne
dans cet automne flamboyant
tuant la maîtresse avec l'amant
au bord d'un vieux rivage.

extraits  Exister, (Territoire) de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969.Page 97

Parler seul

Il arrive que pour soi
l'on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l'on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d'argile
tandis que chaises, table, armoire
s'embrasent d'un soleil de gloire.
extraits  Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969, page 15

La Cour murée

Il est seul dans la cour murée
avec un jouet dont bat
le ressort fatigué
une plume s'envole
qui s'en vient retomber
sur la terre où s'affrontent
les forces de l'amour
celles aussi de la peur.
Le mur étincelle
son faîte est recouvert
de ces gros tessons verts
arrêtant les voleurs.

extraits  Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 25

LES PAS

Les pas entendus
le corps, les visages, les mains
se fondent au village
à grands arbres sculptés.
Il n'y a plus de temps à perdre
répète une voix.
Ce sont pourtant les mêmes pas
que dans la glaise des matins où
brillaient le cuivre et l'étain.
L'avenir se cache dans les plis
des rideaux figés
le pain fait la chair.

extraits  Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 50

DES HOMMES

Au milieu d'un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d'autres pleuraient ,
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.

extraits  Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 40

L’anecdote

L'unique peintre de ce bourg
repeignait la boutique austère
et fredonnait
quand de la gare s'en revenaient
les deux uniques voyageuses
indifférentes à cet amour
que mettait partout le printemps
mais il est des chants qui poursuivent
et que nous ramène une brise.
O monde je ne puis te construire
sans ce peintre et sans ces deux femmes.

extraits  Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969.page 89

LES HANGARS DE LA PLAINE

Des corbeaux attendent pâture
au-dessus de la plaine
ombres et reflets
sur les toits se défont.
Ici même il y a des années
avec circonspection
deux mains prodiguaient l’amour
à l’homme noueux dont la vie a passé.
Les grands hangars
ne recueillent plus rien
que bois mort, poussière,
parfois un oiseau sanglant
à plumage bleu.

Jean Follain, in André Dhôtel, Jean Follain, coll. Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1956, 1972, p. 169.


Exil


Le soir ils écoutent
la même musique à peine gaie
un visage se montre
à un tournant du monde habité
les roses éclosent
une cloche a tinté sous les nuées
devant l’entrée à piliers.
Un homme assis répète à tout venant
dans son velours gris
montrant les sillons à ses mains
moi vivant personne ne touchera
à mes chiens amis.

Appareil de la terre, Gallimard, 1964, p. 72 et 54.

Quincaillerie

Dans une quincaillerie de détail en province
des hommes vont choisir
des vis et des écrous
et leurs cheveux sont gris et leurs cheveux sont roux
ou roidis ou rebelles.
La large boutique s'emplit d'un air bleuté,
dans son odeur de fer
de jeunes femmes laissent fuir
leur parfum corporel.
Il suffit de toucher verrous et croix de grilles
qu'on vend là virginales
pour sentir le poids du monde inéluctable.
Ainsi la quincaillerie vogue vers l'éternel
et vend à satiété
les grands clous qui fulgurent.

Usage du Temps, Gallimard,1941

L’ASSIETTE


Quand tombe des mains de la servante
la pâle assiette ronde
de la couleur des nuées
il en faut ramasser les débris,
tandis que frémit le lustre
dans la salle à manger des maîtres
et que la vieille école ânonne
une mythologie incertaine
dont on entend
quand le vent cesse
nommer tous les faux dieux.

extraits du livre Exister, (Territoire)de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 116

Le pain

Elle disait: c’est le pain
et de son lit étroit
le garçon répondait: merci
et la porteuse lisse et noire
déposait la livre à la porte
en bas se crispait
un jardinet sans fleurs
d’elle à lui il n’y eut jamais
que ces paroles sans aigreur
et qui montaient parmi tant d’autres
dans les matins blancs échangées
pour la vie
des corps par le monde.

extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 67

Au pays

Ils avaient décidé de s’en aller
au pays
où la même vieille femme
tricote sur le chemin
où la mère
secoue un peu l’enfant
lui disant à la fin des fins
te tairas-tu, te tairas-tu ?
Puis dans le jeu à son amie
la fillette redit tu brûles
et l’autre cherche si longtemps
si tard – ô longue vie –
que bientôt les feuilles sont noires.

extraits du livre Exister , (Territoire) de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 112

Vie

Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi-siècle après
il n’est qu’un soldat mort
et c’était là cet homme
que l’on vit apparaître
et puis poser par terre
tout un lourd sac de pommes
dont deux ou trois roulèrent
bruit parmi ceux d’un monde
où l’oiseau chantait
sur la pierre du seuil.

extraits du livre Exister, (Territoire) de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 131

L'ÉCOLE ET LA NATURE

Intact sur le tableau
dans la classe d'un bourg
un cercle restait tracé
et la chaire était désertée
et les élèves étaient partis
l'un d'eux naviguant sur le flot
un autre labourant seul
et la route allait serpentant
un oiseau y faisant tomber
les gouttes sombres de son sang.

extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 87
Canisy 1942
Les grandes architectures de la nuit tombante : arcs de triomphe que formaient les branches au bout des avenues, labyrinthes des sentiers rafraîchis, stades des champs aux gradins de haies jusqu’à l’horizon, portiques et dolmens de nuages encadraient notre être enfant allant vers son destin.
L’ouragan ouvrait des perspectives sans nombre et ceux-là qui l’affrontaient tête baissée, je les regardais à travers les vitres. Je pensais qu’ils travaillaient aussi pour mon bonheur. Sous l’ouragan, il ne m’a pas été donné de voir d’arbre s’envoler, ni un toit entier de chaume comme il est arrivé quelquefois.

Le tonnerre et l’éclair, j’en avais peur. À chaque éclair, je faisais comme mes grand-mères un signe de croix. On était alors autour de la table attendant la fin de l’orage. Dès qu’on avait vu le ciel se noircir, les draps immenses avaient été enlevés qui séchaient dans les jardins surchauffés.
L’on connaissait aussi les soleils forcenés, les facteurs seuls sur les routes.
Des hommes fauchaient les épis et les fleurs du même coup.

La figure de quelque voisin haï apparaissait derrière leur haie. Lui aussi, il avait chaud, peut-être plus qu’eux, ils le remarquaient, ils s’en réjouissaient sans creuser plus loin dans leur âme.
Cependant un son de cloche dans l’après-midi brûlant rappelait que l’on était en chrétienté. La torpeur estivale immobilisait la petite herbe jaunissante des carrefours isolés sur laquelle ne tombait nul regard lourd et qui résistait à l’arrachement et que personne d’ailleurs ne pensait à vouloir arracher. Dans une cour battait un instant un balancier de pompe. Oh, cette même gloire du soleil au pied des calvaires, cette même couleur chrétienne, cette même force d’exigence, ce morceau d’histoire du monde auquel nous avons participé, enfants vêtus de sarraus noirs !

Signes pour les voyageurs


Voyageurs des grands espaces
lorsque vous verrez une fille
tordant dans des mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d’une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
que vous êtes parmi les hommes.

LES JARDINS

« S’épuiser à chercher le secret de la mort
fait fuir le temps entre les plates-bandes
des jardins qui frémissent
dans leurs fruits rouges
et dans leurs fleurs.
L’on sent notre corps qui se ruine
et pourtant sans trop de douleurs.
L’on se penche pour ramasser
quelque monnaie qui n’a plus cours
cependant que s’entendent au loin
des cris de fierté ou d’amour.
Le bruit fin des râteaux
s’accorde aux paysages
traversés par les soupirs
des arracheuses d’herbes folles. »

Exister © Gallimard Poésie


La mort

Avec les os des bêtes
l’usine avait fabriqué ces boutons
qui fermaient
un corsage sur un buste
d’ouvrière éclatante
lorsqu’elle tomba
l’un des boutons se défit dans la nuit
et le ruisseau des rues
alla le déposer
jusque dans un jardin privé
où s’effritait
une statue en plâtre de Pomone
rieuse et nue.

Territoires © Gallimard Poésie

Paysage des sentiers de lisière

Il arrive que l’on entende
figé sur place dans le sentier aux violettes,
le heurt du soulier d’une femme
contre l’écuelle de bois d’un chien
par un très fin crépuscule,
alors le silence prend une ampleur d’orgue.
Ainsi lorsque l’adolescent,
venu des collèges crasseux,
perçoit sous les peupliers froids
la promeneuse au frémissement de sa narine
émue par le parfum des menthes.
Toutes les lueurs des villages
se retrouvent dans le diamant des villes.
Dans un univers mystérieux
ayant laissé sur ses genoux
l’étoffe où s’attachait ses yeux,
une fille en proie aux rages amoureuses
pique de son aiguille le bout de ses doigts frêles
près d’un bouquet qui s’évapore

Usage du temps suivi de Transparence du monde,© Gallimard,

INEFFABLE DE LA FIN


Quand la dernière ménagère sera morte
tenant l'étoffe
raccommodée par ses doigts minces
les étoiles brilleront encore,
les griffons des blasons
s'envoleront en cendre.

ô nuit de l'être
éternel feuilletage
des ardoises du toit
et des pâtisseries blondes;
le monde pèsera son poids
avec toutes ses mains de dulcinées
dans son ciment froid enfermées.

extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 72

PROMENEUR

Qui donc porte manteau à col de velours
et ce chapeau rigide et sombre
alors qu’est venu le moment
que les peaux les plus douces
se lassent des caresses
et vont chercher la paix des ombres ?
Ils peuvent bien tous dormir
l’âne, le bœuf et le vieux lièvre
lui veille dans le chemin qui mène
à la maison jaune à solives
et fait tourner entre ses doigts
une feuille mince cueillie à la haie.

extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 159 (quatrième version d’un poème !)

PROLEGOMENES

Au temps où l’enfant penché sur un vieux plan datant de l’exposition de 1878 faisait des voyages imaginaires, le bruit du vent dans le feuillage était d’une qualité rare, mais n’empêchait point le tic-tac de l’horloge. Il apportait une mélancolie merveilleuse mêlée au goût de la vie et de l’aventure.
Chaque arrondissement de Paris était teinté de belles couleurs pastel ; souvent à mon agacement – j’étais un enfant nerveux et malhabile - le vieux plan se dépliaient mal, se cassait aux plis. Parfois, pendant les ouragans, une tuile tombait d’un toit. Il y avait beaucoup de toitures en chaume couvertes d’un buisson de fleurs et l’on disait que dans les cyclones, certaines de ces toitures avaient été arrachées entières….
Une divinité se cache en toi, Paris : c’est la mer des ténèbres ; parfois le soir rien ne se résout, tout se perd et meurt, se cache et parlemente avec la nuit miraculeuse. Qui n’a admiré la surprenante beauté des uniformes voués au poteau d’exécution ?
…Il se peut que le flâneur loge dans un minuscule appartement du plus loin Vaugirard ; rentré chez lui, la tête entre ses mains, il n’entend plus aucun bruit si ce n’est à de longs intervalles le léger craquement d’une armoire dont le bois travaille ; trompant sa solitude il jouit peut-être un instant de la blancheur du papier sur lequel il déroule une écriture disloquée ; écœuré de l‘injustice des hommes, il éprouve un dégoût pour cette femme au corps luxuriant qui ne lui paraît plus qu’une harpie.


Paris de Jean Follain. Éditions Phébus 2006.
Tous droits réservés © Éditions Phébus

Bibliographie

Exister, suivi de, Territoires préface d’Henri Thomas Poésie-Gallimard 1969
Usage du temps Poésie-Gallimard 2003
Canisy, suivi de Chef-lieu Gallimard 1986
Paris, préface Gil Jouanard Éditions Phébus 2006
Agendas 1926-1971, Édition établie et annotée par Claire Paulhan, Seghers, 1993
Ordre terrestre, préface d'André Frénaud, Fata Morgana, 1986

Sur son œuvre :

Jean Follain, un monde peuplé d’attente, Jean-Yves Debreuille, édition « Autres temps »
Jean Follain, André Dhôtel collection Poètes d’aujourd’hui, éditions Seghers
Des études de Guy Allix (colloque de Cerisy La Salle, conférences…)

Poèmes:

Canisy 1942
Cultivateurs et petits fonctionnaires des campagnes se laissaient vivre dans l’enveloppement du paysage. Ils s’appuyaient souvent sur les murs, leur pouce épousant machinalement un petit creux dans le ciment durci. Autour de leurs pieds des fourmis gravitaient qu’ils n’écrasaient pas, qu’ils ne pensaient point à écraser.
Dans les chemins, le long des champs, à proximité des fontaines, l’on rencontrait des femmes allant, la tête baissée sous des voiles noirs, gardant au doigt une mince bague d’or. Douleur, pudeur, léger luxe de l’or et, aux cieux, le nuage qui passe.


Usage du temps 1943 


L’uniforme blanc


L’on ramena le fils du paysan,
dans l’uniforme blanc de Fontenoy,
près de sa mère,
par un fruste matin plein de cailles.

Au ciel point de quadrige ailé.

Il râla dans la chambre où les ognons sèchent
dans le calme des murs chaulés.
Ô soldat laboureur à l’uniforme blanc,
ce blanc crissait en moi
comme la craie du collège.



Exister 1947


Le pain
Elle disait : c’est le pain
et de son lit étroit
le garçon répondait : merci
et la porteuse lisse et noire
déposait la livre à la porte
en bas se crispait
un jardinet sans fleurs
d’elle à lui il n’y eut jamais
que ces paroles sans aigreur
et qui montaient parmi tant d’autres
dans les matins blancs échangées
pour la vie
des corps par le monde.


L’Asie

Par la fenêtre de l’école
on voyait la carte d’Asie
la Sibérie y était aussi chaude que l’Inde
les insectes y cheminaient
de l’Indus au fleuve Amour ;
au pied du mur
un homme mangeait sa soupe
que les fèves rendaient mauve
il était grave
et seul au monde.

Les choses données 1952


Une renoncule âcre appelée bouton d’or
un matin est simplement cueillie
l’arbre n’en frémit pas d’autant
les insectes constructeurs
tournent autour
et ils sont cuirassés
ils ont des yeux à facettes
et portent des armes
minuscules et lancinantes
mais lorsque le sol s’échauffe
les rondes des enfants commencent

Commentaires

Vu les sept derniers jours

Paul Eluard - Tout dire

Comme en Poésie - Les auteurs 2000 / 2015

Poésie ininterrompue - Eluard

Pablo Neruda 1904 - 1973

Charles Bukowski

Coquelicot - Guillevic

Coup de foudre - Wislawa Szymborska