Michel Héroult 1938 - 2012

"Poète moi? Mais par quel sortilège?
par quelle manie d'amour à l'amour apportée
par quelle tendresse particulière?

Je ne suis que saisons traversées par le vent"
M.Héroult Les Poèmes foudroyés

« Mon chant porte témoignage de la souffrance bue jusqu’à l’absurde. Je n’ai jamais désespéré ; jamais dit oui, ni non, emprisonné dans le dilemme »

http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Michel_H%C3%89ROULT-332-1-1-0-1.html
Quelques poèmes

La Quête éperdue


Libérez l’étoffe prisonnière
le fond du problème encerclé
la fumée glacée
changez le fusil d’épaule de la nuit qui fuit
passez votre bras autour de la taille de la guêpe
cherchez la direction la flèche
le cheval à tête d’homme
qui trône à l’entrée de la maison froide
Cherchez le sens cherchez les signes
plusieurs étoiles éclatent dans ma tête
leur course m’éreinte
un air de dieu me fait l’allure superbe
cherchez moi sauvez moi
j’habite les caves
horloger du ciel je m’épuise
suivez-moi
si vous le pouvez vraiment 

© Michel Héroult  [dans Les poèmes foudroyés)

L'absence nécessaire

L’absence ici projette ses bras sur la ville
offrant aux coins d’ombre
ses aires
propices aux larcins
Un œuf
dans sa nudité coquillage
happé par la mer dérive au large
enveloppe fendue dans la bouche des serpents
sphère approchant le vide comme on s’approche
d’un dieu
L’absence ici déroule ses anneaux de fer
certitude rocailleuse
abstraction quantifiée
Des enfants tirent du langage le suc
issus qu’ils sont de dimensions clandestines
enfants qu’ils sont les paupières offertes
guerriers futurs les paumes ouvertes
incréées
comme l’eau
L’absence ici déroule ses anneaux de cuivre
pour la joie d’insectes frondeurs aux oreilles percées.
 © Michel Héroult [dans Les élégies premières]

Un sens à la mer



          Et si la mer nous appartenait vraiment

c'est-à-dire pleinement
mais offerte à tous
divisée mais partagée

Si tout cela n'était qu'un malentendu
un pacte à l'amiable
un essai pour voir

Nous répartissons notre souffle sur le monde
les animaux viennent boire dans nos mains
la maîtrise du vent et des étoiles nous est donnée
et le sol tremble
lorsque nous marchons dans le silence

L’attente inévitable se charge d'une plainte
quelque part un mur se fissure
une pierre se détache

Le vol d'un oiseau nous crucifie dans le ciel bleu
  
© Michel Héroult

Être seul

Hier ils étaient là
vibraient dans la lumière
hissant leur corps sur l’échelle des années

On se retourne et c’est
une absence
une eau limpide

et l’on ne voit
que rouges coquelicots de sang
que la mort fauche

La nuit est-elle bleue ?
demandent-ils dans les ramures
quelque part, sur l’arbre de vie

On ne comprend du vide
sous le manteau
que des murmures
quand le ciel remonte à sa source
vers le réel

Vous tournez la tête, un peu, à gauche
ou vous baissez les yeux
voici que ceux qui vous tendaient leurs mains
s’esquivent à l’appel des faucheuses

et restituent l’éclat d’une aube nouvelle


© Michel Héroult


Impermanence et peau de chagrin

Deux heures sonnent dans la journée
le soleil se fait une fête
de ces toits de tuiles et d’ardoises
C’est un endroit – c’est une année
dont on ne sait rien

S’ils existent ou pas
on ne le sait

Le vent agite les drapeaux de la fête
cela suffit au temps peut-être pour perdurer

Il n’y a ni début ni fin
à ce jour, au suivant, à la semaine
au désert
aux vies en dérive suspendues

Deux heures sonnent c’est si loin
le nuage aussi survit
une ombre passe au ciel
ce ne sont que cris et sang versé

Deux heures
c’était deux heures
voici venir l’éternité


© Michel Héroult

C’est très bien ainsi

Il va, spectre docile au vent nouveau
Un ciel chargé de nuages sous le bras

Un ciel chargé d’orages
lorsque se dressent les oronges
boules d’éternité sous la pluie

Il n’a cure des colonnes brisées
il sait que l’œuvre
-    une fois de plus –
dispense ses gadgets

Il faut – dit-il – il faut
descendre en ces caves, tête vide
parmi les éboulis
prince des ruptures
des ronces et chantre du nombre

Il va, au gré du vent
un océan d’amour à cheval sur les épaules

Il sait qu’il faut descendre
avant de reconstruire
et que les eaux dissolvent d’autres amertumes

Il n’a cure des outils brisés
des voiles qui s’évaporent – des litanies
du bleu qui se fait obscur

Cette œuvre le conduit
à l’incandescence
à la lumière évidente

Il sait qu’il ne sait pas
et c’est très bien ainsi


© Michel Héroult


PRENDRE LE MAQUIS

La cave était offerte et j’ai poussé la porte

Des voix dans l’ombre ne parlaient que de blessures
de paumes ouvertes
en attendant l’éclat du jour

Qui chantait ainsi
d’autres lendemains encore ?

Apprends à ne pas apprendre
à savoir ce qui ne se comprend pas
écoute ceux qui n’ont pas de voix

Mais les fleurs et les oiseaux - oiseaux totems
sont-ils autant de dieux
qui nous font signe par mégarde ?

Et cette médisance
Garde-la pour le fiel

Car viendront bien assez tôt
les épreuves
et la mort

Michel HéROULT



EN SOUVENIR DE DEUX AMIS CHERS Robert Momeux et Michel HÉROULT
Robert Momeux(Revue A l'Index - extrait) Michel Héroult
L’âge vient. Il faudra bien s’y faire. Tout se délitera autour de moi ; je veux parler de l’univers qui m’est connu. Mais quel est donc cet auteur qui a écrit que vieillir c’est se retrouver de plus en plus seul, abandonné par les êtres aimés partis les premiers ? Vieillir, c’est ne plus reconnaître personne.
Robert Momeux, à sa manière, avait résolu le problème en s’exilant dans les terres lointaines de la Bourgogne et en se coupant du monde. Il souffrait de cette solitude. Il s’ennuyait, mais il ne voulait à aucun prix se rapprocher de la ville et de ses amis.
Un jour, il me confia au téléphone : « Quelquefois je reste quatre à cinq jours sans dire une parole à un être humain. J’aperçois des voisins, au loin et je leur fais un signe de la main. J’essaie de survivre à mes chats pour qu’ils ne se retrouvent pas seuls lorsque je disparaîtrai. ».
Robert Momeux est mort. Jean Chatard me l’a appris le jour même.
Dans les derniers temps, il ne mangeait presque plus et pesait à peine plus de 30 kg.Nombreux étaient les amis qui s’inquiétaient de sa santé, mais il n’aimait guère répondre au téléphone. Il est donc mort seul, mais baignant, sans le savoir vraiment, dans la pensées de ses amis qu’il avait repoussés au loin.
Bien sûr, les souvenirs reviennent : une discussion au bord de la Charente lors des rencontres de la Tour de Feu à Jarnac ; les réunions du Puits de l’Ermite, dont il fut un fondateur avec Jean Chatard, Guy Malouvier, Jean-Pierre Lesieur et moi-même ; le spectacle donné à la Vieille Grille ; un repas mémorable chez Jean Germain où nous fîmes honneur à une bouteille de Cognac, profitant que le maître des lieux faisait sa sieste.
Bien sûr, il y a ainsi quelques petites îles dérisoires qui surnagent sur les eaux indistinctes du passé. Bien sûr, la vie passe par là et emporte à peu près tout.
Robert Momeux nous laisse une belle somme de poèmes, dont « À tout jamais » que je viens de publier aux Editions du Soleil natal et qui sera son dernier livre.
Il l’a eu en main un mois avant sa mort et m’a murmuré au téléphone (car il ne pouvait presque plus parler) : « Je suis très content ». Pour l’heure, on n’a pas retrouvé les vingt-cinq exemplaires que je lui ai envoyés et je vais me substituer à lui pour assurer son service de presse personnel.
On a dit, ici ou là, que la poésie de Robert était à ranger dans la «poésie du quotidien », celle mise en avant par la revue Décharge et les Editions du Dé bleu. D’abord, le concept de « poésie du quotidien » est un concept bien flou. Ensuite la poésie de Robert, même si elle partait de notations sur le quotidien, ou pour le dire autrement sur « la vie comme elle va », débouchait presque toujours sur des valeurs universelles de fraternité et même de spiritualité. Robert Momeux ne se payait pas de mots, mais procédait à l’élargissement des mots. On sentait qu’il nous disait quelque chose d’indéfinissable qui, d’une manière ou d’une autre, dépassait largement les choses et les situations décrites.
Plusieurs tendances, actuellement, se font jour : « la poésie du quotidien », « la poésie émotiviste » marquée par la parution récente d’une Anthologie publiée par Christophe Dauphin au Nouvel Athanor que dirige Jean-Luc Maxence, « la poésie engagée » qu’il faut chercher du côté d’Action poétique et la « poésie néo-classique » dont les revues Le Coin de Table de Jacques Charpentreau ou Art et Poésie se font les gardiennes.
L’introduction massive du vers libre a largement ouvert les portes du subconscient. Bien souvent, la poésie dit autre chose que ce qu’elle a l’air de vouloir dire. C’est le cas pour la poésie de Robert Momeux. Les notations peuvent être brèves, concrètes, sans refuser le lyrisme qui surgit tout à coup. Sans refuser ces fenêtres qui parfois, s’ouvrent sur le rêve.
En règle générale, la poésie contemporaine œuvre à hauteur d’homme. Elle témoigne de l’homme et de ses destins difficiles. Certains le font en haut d’une tour ; d’autres au fond d’une cave mais, toujours, c’est de l’homme dont il s’agit. En tout cas bien plus de l’homme que des dieux.
*Certaines revues appuient cette recherche vers le bas ou vers le haut. Elles offrent une chance dans leur diversité : Verso d’Alain Wexler, Diérèse de Daniel Martinez, Comme en poésie de Jean-Pierre Lesieur, Les Hommes sans épaules de Christophe Dauphin et Les Cahiers du Sens de Jean-Luc Maxence.
Il y a quelques années, le Marché de la poésie, Place Saint-Sulpice, à Paris, était en ébullition. On venait de retrouver André Laude, sans vie, dans une chambre perdue quelque part dans la capitale. Il était mort seul parmi tous. Pleuré de tous. Ses amis d’Albatros étaient en deuil.
Un poète meurt : un soleil s’éteint. Plus de levers et plus de couchers, avec ces nuages fantastiques qui prennent possession du ciel. Plus de voix dans le vent. Tout a été dit par celui-là qui n’est plus. Le reste appartiendra au discours, à l’analyse, à l’impuissance à saisir ce qui fut force de vie et qui débouche tout à coup sur la mort.
André Laude n’est plus. Robert Momeux n’est plus. Et nous restons là sous le ciel à contempler quelque point invisible, alors que monte, de la terre où nous survivons, un chant qui nous tient en éveil.
Michel Héroult
Publié par Editions du Soleil natal

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